LES CESSIONS DE FONDS DE COMMERCE SUR LE DOMAINE PUBLIC DEPUIS LA LOI PINEL.
Par Fouziya Bouzerda, Avocat sur www.village-justice.com
La question de la possible existence d’un fonds de commerce sur le domaine public était à l’origine source d’incertitudes, et le caractère précaire et révocable des autorisations d’occupation du domaine public empêchait pour le Conseil d’Etat toute possibilité de reconnaissance d’un fonds de commerce.
1. Loi PINEL et fonds de commerce sur le domaine public
L’article L. 2111-1 du Code général la propriété des personnes publiques définit le domaine public comme l’ensemble des biens appartenant à une personne et qui sont soit affectés à l’usage de public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public.
Il est possible de conférer à des personnes privées la possibilité d’occuper le domaine public de manière privative dans la mesure où l’occupation est conforme avec l’affectation de la dépendance domaniale.
Cette occupation est cependant précaire et révocable, le domaine public étant imprescriptible et inaliénable, rendant jusqu’à l’intervention du Législateur en juin 2014 toute absence de véritable reconnaissance de l’existence d’un fonds de commerce exploité sur le domaine public.
Pourtant, il est indéniable que le domaine public est le lieu d’activités économiques.
La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite loi PINEL insère à l’article 72 du code général de la propriété des personnes publiques un article L.2124-32-1 qui dispose désormais :
« Un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l’existence d’une clientèle propre ».
(…)
« Sous réserve d’exercer son activité dans une halle ou un marché depuis une durée fixée par délibération du conseil municipal dans la limite de trois ans, le titulaire d’une autorisation d’occupation peut présenter au maire une personne comme successeur, en cas de cession de son fonds. Cette personne, qui doit être immatriculée au registre du commerce et des sociétés, est, en cas d’acceptation par le maire, subrogée dans ses droits et ses obligations.
En cas de décès, d’incapacité ou de retraite du titulaire, le droit de présentation est transmis à ses ayants droit qui peuvent en faire usage au bénéfice de l’un d’eux. A défaut d’exercice dans un délai de six mois à compter du fait générateur, le droit de présentation est caduc. En cas de reprise de l’activité par le conjoint du titulaire initial, celui-ci en conserve l’ancienneté pour faire valoir son droit de présentation.
La décision du maire est notifiée au titulaire du droit de présentation et au successeur présenté dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande. Toute décision de refus doit être motivée ».
L’esprit de cette réforme est simple : donner un cadre légal à une réalité de terrain tout en apportant une sécurité juridique aux transactions qui permettent une continuité de l’exploitation commerciale et une valorisation de la clientèle attachée au commerçant .
Cette réforme est particulièrement intéressante pour les commerçants ambulants qui exploitent leur fonds de commerce sur les marchés, alimentaires, ou non alimentaires.
2. Modalités de cession d’un fonds de commerce exploité sur le domaine public
Certaines particularités des cessions de fonds de commerce sur le domaine public sont à noter :
L’existence d’un fonds de commerce, et notamment d’une clientèle propre
Le fonds de commerce est constitué de l’ensemble de biens mobiliers – corporels et incorporels – affectés à l’exercice d’une activité commerciale.
La loi PINEL n’a pas manqué de rappeler l’exigence d’une clientèle propre.
Le fonds de commerce sera constitué dans l’hypothèse où le commerçant peut se prévaloir utilement d’une clientèle propre, ce qui semble être automatiquement admis dès qu’un commerçant bénéficie d’une autorisation d’occupation temporaire. Dès lors qu’un commerçant dispose d’une autorisation « en bonne et due forme », il peut, a priori, prétendre à la reconnaissance d’un fonds de commerce, pourvu qu’il établisse l’existence d’une clientèle autonome .
D’autant qu’il n’appartient pas à la commune de s’assurer de la validité de l’acte de cession en recherchant notamment l’existence d’une clientèle propre.
La nécessaire existence d’une autorisation d’occupation du domaine public
L’autorisation peut être unilatérale ou contractuelle, comme le prévoit l’article R. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques qui dispose que :
« L’autorisation d’occupation ou d’utilisation du domaine public peut être consentie, à titre précaire et révocable, par la voie d’une décision unilatérale ou convention ».
S’agissant plus spécifiquement des vendeurs ambulants exerçant sur les marchés, il est important de préciser que les demandeurs inscrits sur une liste de rappel, c’est-à-dire non titulaires d’une autorisation d’occupation, ne peuvent se prévaloir d’une autorisation d’exploiter leur activité commerciale sur le domaine public : la loi PINEL ne trouve donc pas à s’appliquer.
Seuls les commerçants titulaires d’un emplacement fixe pourront se prévaloir des dispositions de la loi PINEL.
Le droit de présentation
Le Code général des collectivités territoriales crée un droit de présentation d’un successeur au profit des commerçants non sédentaires exerçant leur activité dans les halles et les marchés municipaux.
Concrètement, tout commerçant qui cesse son activité commerciale a le droit de présenter au Maire de la commune la personne à laquelle il envisage de céder son fonds de commerce et qu’il souhaite voir désigner comme le nouveau titulaire de l’autorisation d’occupation du domaine public qu’il détient.
Il faut toutefois ajouter que les dispositions des articles 71 et 72 de la loi PINEL n’ont pas de portée rétroactive. Ce qui signifie que ces dispositions, notamment le droit de présentation, ne s’appliquent en principe qu’aux autorisations délivrées à compter de leur entrée en vigueur (En ce sens CE, 24 novembre 2014, n° 352402).
Le Maire de la commune sera dans l’obligation de répondre dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande de désignation d’un successeur par une décision, qui en cas de refus devra être parfaitement motivée. Les motifs de la décision de refus peuvent être tirés de l’intérêt général, du bon fonctionnement du marché, du bon ordre public, de l’absence d’immatriculation au RCS ou exercice par le successeur d’une activité distincte de celle du cédant. En cas de refus, un recours en annulation peut être envisagé devant le Tribunal administratif.
En conclusion, la loi PINEL opère une révolution juridique reconnaissant la possibilité d’exploiter un fonds de commerce sur le domaine public et ont pour objectif de permettre de concilier les exigences de la domanialité publique et les droits attachés à la propriété d’un fonds de commerce.
Reste néanmoins que cette révolution créée des difficultés pratiques, tant pour la rédaction de l’acte de cession, que s’agissant des formalités post-cessions auprès du greffe ou de la Commune. Il faudra probablement du temps avant que ce nouveau mécanisme s’encre dans la pratique juridique.